Chaque année, le CNRS récompense les femmes et les hommes qui ont le plus contribué à son rayonnement et à l’avancée de la recherche. Les médailles d’argent, de bronze et de cristal individuelles viennent d’être annoncées pour l’année 2025. La médaille d’argent distingue des chercheurs et des chercheuses pour l’originalité, la qualité et l’importance de leurs travaux, reconnus aux niveaux national et international. Franck Poupeau, directeur du CREDA, fait partie de la promotion 2025.
À cette occasion, le CNRS a réalisé un entretien retraçant son parcours, dont vous trouverez le texte ci-dessous.
Franck Poupeau Sociologie de l’environnement et des ressources naturelles
Médaille d’argent du CNRS 2025
Sociologue et directeur de recherche CNRS au Centre de recherche et de documentation sur les Amériques (CREDA, CNRS / Université Sorbonne Nouvelle), Franck Poupeau interroge depuis plus de vingt ans les inégalités et les rapports de pouvoir à travers l’étude des politiques environnementales, de l’eau et des ressources naturelles. Des périphéries urbaines de France aux Amériques, de la Bolivie à l’Arizona, ses recherches dévoilent les tensions entre impératifs écologiques et logiques économiques, en éclairant les luttes sociales qui en découlent. Inspiré par Pierre Bourdieu, il défend une sociologie de terrain qui questionne les formes de domination à l’œuvre dans les transformations écologiques. Il construit une recherche ancrée dans le travail empirique, attentive aux effets structurants du champ du pouvoir comme aux politisations et aux formes de vie ordinaires. Cette démarche, couplée à un engagement éditorial fort, fait de lui une voix singulière dans le débat public contemporain, et un artisan de la visibilité des sciences sociales.

Franck Poupeau débute sa carrière dans la sociologie de l’éducation, portant son regard sur les inégalités scolaires et urbaines. En 2000, un séjour en Bolivie, où il assiste à la « guerre de l’eau » à Cochabamba, cristallise son intérêt pour les conflits environnementaux. Entré au CNRS en 2010, il est aujourd’hui directeur de recherche au CREDA.
En 2012, il co-dirige l’unité mixte internationale iGLOBES à l’université d’Arizona1 . C’est à partir de ce terrain d’étude, soumis à l’aridité et aux tensions hydriques, qu’il compare les inégalités d’accès à l’eau et l’écologisation des politiques hydriques.
« Les inégalités d’accès à l’eau reflètent les asymétries de pouvoir ainsi que les structures socio-économiques différenciées des sociétés contemporaines. »
De l’Altiplano andin aux plateaux de l’Arizona, il soulève un paradoxe : en Bolivie, malgré un discours écologique affirmé, les politiques restent centrées sur l’approvisionnement et des logiques de l’offre. À Tucson, ville d’un État pourtant conservateur, des politiques innovantes émergent, valorisant de meilleurs usages de l’eau. Dans cette lignée, il lance l’Observatoire hommes-milieux Pima County2 pour étudier les conflits liés à l’ouverture de mines. Il participe aujourd’hui au projet ANR ECOBOOM (Économies politiques et morales du « boom extractif » dans la « grande transition »), qui analyse l’impact de la transition énergétique sur les dynamiques extractives, et qui compare deux processus connectés : l’essor des métaux critiques pour la transition énergétique et l’extraction artisanale, notamment aurifère. Il explore ainsi les effets de ces transformations sur les territoires, les économies locales et les rapports Nord/Sud, en les mettant en perspective avec les transformations des infrastructures du capitalisme globalisé, dans le cadre de l’ANR Le Grand Entrepôt.

Il fait aussi partie du collectif « Classes vertes » qui vient de publier dans les Actes de la recherche en sciences socialesdeux numéros (255 et 256) consacrés à l’écologie et aux rapports de domination. Secrétaire éditorial des Actes de la recherche en sciences sociales de 2004 à 2014, il anime également avec Jérôme Bourdieu les éditions Raisons d’agir. Pour lui, « ce mode de dissémination des résultats est une forme de visibilisation dans une époque pas très portée sur la sociologie », un moyen d’ouvrir la recherche à de nouveaux publics, et de soutenir les jeunes chercheurs et chercheuses. La médaille d’argent apparaît dans ce cadre comme « un signal positif adressé par l’institution envers ses scientifiques », valorisant un travail collectif souvent invisible et pourtant indispensable à la vitalité des sciences sociales.
« Cette récompense valorise un travail de l’ombre, qui contribue à faire vivre ce qui reste d’autonomie au champ scientifique : l’engagement dans des collectifs et pour la cause de la science, au service de l’intérêt commun ».
Notes
- Où il coordonne l’ANR BLUEGRASS et le projet européen SWAN.
- Dans le cadre du LabEx DRIIHM.
Source : https://www.inshs.cnrs.fr/fr/personne/franck-poupeau