Les impacts de COVID19 sur le marché du travail et la pauvreté multidimensionnelle en Argentine

DÉTAILS DU PROJET

ECOS-COVID 19

Argentine

Vera Chiodi, maîtresse de conférences en économie (IHEAL/CREDA) ; Andres F. Lopez, chercheur en économie.

Instituto Interdisciplinario de Economía Política (IIEP) ; UBA-CONICET (Universidad de Buenos Aires - Departamento de Economía de la Facultad de Ciencias. Económicas).

2022-2025

Avec ses énormes ramifications pour le bien-être social et la santé publique, la pandémie de COVID-19 a mis en évidence les inégalités marquées entre et au sein des pays. En Amérique Latine, la pandémie a engendré une récession économique d’une ampleur et d’une portée sans précédent. Par conséquent, les mesures prises aujourd’hui pour lutter contre la pandémie pourraient avoir des effets à long terme sur la vie, les moyens de subsistance et le capital humain des populations. Cela nécessite donc des interventions opportunes, fondées sur des preuves, techniquement solides et économiquement durables (Lopez-Calva, 2020). Cela donne une grande pertinence à la recherche sur les impacts économiques et sociaux de la pandémie, non seulement pour répondre efficacement aux défis actuels mais aussi pour être mieux positionné pour faire face à des crises de cette nature à l’avenir.

L’Amérique latine, avec un taux de pauvreté de 23% (Lustig and Tommasi, 2020), lutte pour atténuer les effets de la pandémie sur ces niveaux de pauvreté et inégalités déjà très élevés. La région a connu un impact sanitaire énorme, sans les moyens nécessaires pour contenir les ramifications sur l’activité économique et l’emploi, qui ont été aggravées du fait des inégalités de revenus accrues dans le monde. Il n’est donc pas surprenant que ce soit la région la plus touchée par la pandémie (Jaramillo, 2020). Le Fond Monétaire International (FMI) estime une contraction du PIB régional de 9,4% d’ici 2020. La région est, à son tour, la plus touchée au niveau mondial en termes d’emploi et des revenus du travail. Au cours du premier semestre. 2020, 34 millions de travailleurs ont perdu leur emploi. La situation est encore plus inquiétante si l’on considère que ces impacts ont été inégaux et que la voie de la reprise, qui se dessine lentement dans la région, pourrait s’accompagner d’un élargissement des écarts déjà très élevés en matière de travail et de revenus entre les différents groupes de population (Maurizio, 2020).

En fait, les femmes et les jeunes ont subi des pertes d’emploi plus intenses que les hommes et les adultes, respectivement. En revanche, la réduction de l’emploi a été plus intense chez les travailleurs informels que chez les travailleurs formels. Ces derniers, qui représentent plus de 80% du quintile de revenus le plus bas en Amérique Latine, ont plus de difficultés à travailler à distance et n’ont pas été atteints par les politiques de soutien à l’emploi mises en œuvre. C’est pourquoi ce sont les travailleurs en bas de l’échelle qui ont vu leurs revenus diminuer le plus intensément. Étant donné que le revenu du travail représente environ 80% du revenu familial total, la détérioration des conditions de travail a un impact direct sur les conditions de vie d’un grand nombre d’individus et de ménages dans la région.

En outre, les enfants des ménages les plus pauvres ont moins de chances de poursuivre leur scolarité, en raison non seulement de la perte de revenus familiaux, mais aussi de l’infrastructure limitée leur permettant de suivre les cours virtuellement. Cette dimension est également pertinente dans une perspective de genre, puisque la plus forte réduction de l’emploi féminin a été associée à la fois à leur plus grande présence dans certains secteurs économiques fortement touchés par cette crise et au taux plus élevé d’informalité, ainsi qu’aux difficultés croissantes de concilier travail rémunéré et responsabilités familiales, dans un contexte où les services d’éducation et de soins ont été profondément modifiés par les mesures de santé visant à éloigner et à réduire la mobilité des personnes. Tout cela exacerbe le cercle vicieux de la pauvreté.

Dans le cas de l’Argentine, les processus décrits sont particulièrement problématiques car l’incidence de la pauvreté et de l’indigence était déjà élevée avant le déclenchement de la pandémie et a augmenté de manière significative par la suite. En effet, au cours du premier semestre 2020, 41% des personnes étaient pauvres (soit une augmentation de 5,5 points de pourcentage en un an) et 10,5% étaient indigentes (INDEC, 2020). Toutefois, ces chiffres étaient nettement plus élevés chez les moins de 14 ans : 56% et 15,6%, respectivement. Ces valeurs mesurent la pauvreté comme étant l’incapacité des personnes à accéder au panier alimentaire de base total et au panier alimentaire de base par le biais de leur revenu monétaire, respectivement. Cependant, la pauvreté est plus que le manque de revenu dont une personne aurait besoin pour satisfaire ses besoins fondamentaux (United Nations, 2018). Cela peut se manifester par la privation de capacités de base qui permettraient à une personne d’avoir de années de scolarité, d’être bien nourrie, de vivre dans un bon foyer ou de ne pas souffrir d’une maladie chronique, par exemple (Wang et al., 2016). Cette mesure devient encore plus nécessaire dans le contexte actuel de la pandémie COVID19, car elle menace de perturber gravement les progrès réalisés dans la réduction de la pauvreté (Alkire et al., 2020). En fait, cette étude, la plus récente menée sur l’impact de la pandémie sur la pauvreté multidimensionnelle dans le monde, montre comment la pandémie aurait un impact substantiel grâce aux indicateurs de nutrition des enfants et de fréquentation scolaire. Les auteurs estiment que la pandémie inversera le processus de réduction multidimensionnelle de la pauvreté au niveau mondial entre 3 et 10 ans, selon le scénario envisagé.

Pour l’Amérique Latine, et en Argentine en particulier, il est essentiel d’accorder une attention particulière à ses populations les plus pauvres, faute de quoi des inégalités persistantes et d’autres effets économiques et sociaux à long terme pourraient se produire.
Les connaissances développées aujourd’hui grâce à l’étude de l’impact de la pandémie sur l’activité économique et l’emploi des populations les plus pauvres, permettra de concevoir des interventions qui rendent possibles les politiques de lutte contre la pauvreté et, en même temps, de minimiser les effets négatifs sur leur bien-être en cas de futures vagues de la maladie. C’est pourquoi ce projet vise à évaluer les impacts de la pandémie sur le marché du travail et sur la pauvreté monétaire et multidimensionnelle en Argentine.
Les impacts du COVID-19 sur le marché du travail ont été inégaux pour les différents groupes. de travailleurs. Albrieu (2020), pour le cas argentin, estime qu’entre 27 et 29% des postes pourraient être développés en télétravail, avec de plus grandes possibilités pour les professions libérales, les ménages à revenus élevés, les hommes et les postes de direction. Toutefois, lorsque ce chiffre est corrigé pour tenir compte de l’accès à l’internet et des ordinateurs à la maison, l’estimation tombe à 18%.


Objectif 1 : évaluer les impacts de la pandémie sur le marché du travail


Pour estimer l’impact de la pandémie COVID-19 et les mesures d’isolement social sur le marché du travail, on cherchera à connaître les variables associées aux professions et aux industries, qui dispose d’informations antérieures à l’apparition de la pandémie et qui ont une influence sur la propension à être touché par celle-ci. Comme est considéré dans d’autres travaux de recherche dans ce domaine, la probabilité de continuer à travailler pendant la pandémie et/ou la variation des salaires qui y sont associées, peuvent être modélisées sur la base d’un ensemble de variables de contrôle exogènes. À cette fin, un modèle probabiliste et des modèles d’équation de Mincer seront construits. En particulier, la stratégie d’identification sera basée sur les informations suivantes :

  • Poste de travail qu’occupe la personne avant la pandémie.
  • Industrie du travail qui occupe la personne durant la période pré-pandémique.
  • Caractéristiques de l’entreprise et du contrat de travail dans le cadre de l’emploi occupé avant la pandémie. À ce stade, le caractère formel/informel du travail est évalué.
  • Caractéristiques personnelles du travailleur (âge, éducation, etc.) et du ménage (si le travailleur dispose d’un ordinateur, localisation géographique, membres du ménage susceptibles et à risque de la COVID-19).
  • Les plans sociaux, en particulier les revenus perçus par le ménage associés à la pandémie (par exemple le revenu familial d’urgence (IFE)).


Ces informations peuvent être obtenues à partir de l’Enquête Permanente des Ménages (EPH), la principale source d’information sur le marché du travail en Argentine, ainsi qu’à l’aide d’autres sources d’information administratives. L’objectif principal dans un premier temps, est de croiser ces informations pour déterminer le risque que les personnes soient touchées par la pandémie et de le comparer, dans un deuxième temps, aux effets observés pendant la période de pandémie. Ces sources seront complétées par l’utilisation d’outils « Big Data » qui permettent la collecte et le traitement, par exemple, de données sur la mobilité des transports, l’utilisation des hôpitaux et d’autres informations connexes.

Pour ce faire, un étudiant en doctorat, sous la supervision des responsables du projet, devra collecter les informations dans un format compatible par le biais des enquêtes et produire une base de données unique permettant d’estimer des modèles économétriques. En plus d’étudier l’impact différentiel de la pandémie sur le marché du travail, le projet étudiera les changements possibles dans l’utilisation de la technologie associée à la pandémie. Comme on le sait, au cours des dernières décennies, le processus d’automatisation des tâches s’est accéléré, avec des répercussions non seulement sur le volume mais aussi sur la composition de la main-d’œuvre (McIntosh, 2003 ; Autor et al, 2003), même dans les pays en développement (Das et Hilgenstock, 2018). Le processus d’automatisation des tâches devrait s’accélérer dans la période post-pandémique. En effet, déjà pendant la pandémie, des automates de différents types ont joué un rôle important dans les tâches de désinfection, les contrôles sanitaires, l’accélération des activités de recherche, le diagnostic et l’analyse, la livraison des fournitures, etc. Outre les facteurs qui déterminaient auparavant le risque d’automatisation (par exemple, l’exécution de tâches routinières), d’autres découlent désormais de la probabilité plus ou moins grande d’exposition à cet épisode ou à d’autres épisodes similaires : les emplois qui impliquent un besoin plus important de proximité physique ou de contact avec les autres, ou qui sont plus exposés à la contagion ou aux risques sanitaires, entrent dans cette dernière catégorie (Chernoff et Warman, 2020; Leduc et Liu, 2020). Certaines enquêtes confirment d’ailleurs l’intuition que ces processus auront tendance à s’approfondir. Ces questions seront abordées dans le cadre d’une enquête représentative des entreprises qui sera réalisée en 2021 et qui évaluera spécifiquement l’utilisation des nouvelles technologies d’automatisation avant et après la pandémie, ainsi que leur impact sur différents types d’emplois. Les résultats de ces informations additionnelles peuvent être  utilisés avec les données individuelles mentionnées précédemment pour estimer si l’évolution du marché du travail a été affectée par l’adoption de nouvelles technologies et, le cas échéant, pour mesurer l’impact différentiel sur les salaires et les emplois.


Objectif 2 : Évaluer les impacts de la pandémie sur la pauvreté monétaire et multidimensionnelle en Argentine


Par ailleurs, l’Argentine n’a pas été incluse dans l’analyse des impacts de la pandémie sur la pauvreté multidimensionnelle mentionnée ci-dessus (Alkire et al, 2020). C’est pourquoi ce projet abordera également cette dimension. La mesure de la pauvreté en Argentine au moyen de l’Indice de Pauvreté Multidimensionnelle (IPM) proposé par Alkire et Foster (2011), permettrait de saisir les privations imbriquées auxquelles les gens sont confrontés dans plusieurs dimensions sociales, telles que l’éducation, la santé et le niveau de vie, ainsi que leur évolution dans le temps. Par conséquent, une première étude dans cette dimension visera à mesurer la pauvreté multidimensionnelle et à analyser l’impact de la pandémie sur son évolution, ainsi que les différences qui pourraient exister en matière de pauvreté monétaire.
Les jeunes femmes à faible revenu ont perdu leur emploi de manière plus intense et sont pour la plupart passées à l’inactivité (Maurizio, 2020). Une deuxième étude propose donc d’évaluer la variabilité des privations sociales considérées dans la mesure de la pauvreté multidimensionnelle parmi les différents membres d’un ménage. Cette analyse nous permettrait de comprendre les inégalités dans l’impact de la pandémie qui existent au niveau du ménage, selon les différentes classifications de travail et d’âge (Alkire et al., 2018 et Alkire et al. 2019).
Plusieurs politiques et stratégies ont été mises en œuvre dans le pays afin de compenser la perte de ressources économiques, en particulier pour les familles les plus vulnérables. La politique la plus ambitieuse a été le revenu familial d’urgence (IFE), destiné principalement aux travailleurs de l’économie informelle et aux bénéficiaires de l’allocation universelle par enfant (AUH) et de l’allocation universelle par grossesse (AUE). C’est pourquoi une troisième étude évaluera dans quelle mesure les personnes en situation de plus grande vulnérabilité sont ciblées par les politiques sociales mises en œuvre, principalement l’IFE, et si cela contribue à contenir l’augmentation de la pauvreté multidimensionnelle. Là encore, une analyse des inégalités intrafamiliales sera effectuée.
Dans un premier temps, toutes ces études pourraient être développées en utilisant les données disponibles dans de l’Enquête Permanente des Ménages (EPH). Dans un deuxième temps, une enquête de terrain sera développée afin de collecter des informations plus spécifiques auprès de ménages. Ceci permettrait, en effet, de mieux comprendre les privations sociales imbriquées auxquelles sont confrontés les individus à l’intérieur du ménage, ainsi que d’évaluer l’impact de la pandémie, tant d’un point de vue anthropologique, comme économique et social. Cette mission pourra être mené par une doctorante ou post doctorante.

Enfin, une quatrième étude propose une analyse comparative des résultats entre l’Argentine et d’autres pays d’Amérique Latine, ce qui permettrait de mieux comprendre la situation de l’Argentine face à la pandémie dans la région. Cette recherche pourrait bénéficier des conseils et suggestions des participants aux séminaires organisés par le centre de recherche de l’Oxford Poverty and Human Development Initiative (OPHI) de l’Université d’Oxford, qui est chargé de mesurer la pauvreté multidimensionnelle dans le monde, ainsi que de son propre personnel de recherche. En outre, les recherches proposées ici pourraient donner lieu à des publications en tant que documents de travail du même centre et bénéficier d’une diffusion par le biais des différentes organisations partenaires, telles que la CEPAL en Amérique Latine, le Réseau de pairs sur la pauvreté multidimensionnelle (MPPN) et le Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD).

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Avec ses énormes ramifications pour le bien-être social et la santé publique, la pandémie de COVID-19 a mis en évidence les inégalités marquées entre et au sein des pays. En Amérique Latine, la pandémie a engendré une récession économique d’une ampleur et d’une portée sans précédent. Par conséquent, les mesures prises aujourd’hui pour lutter contre la pandémie pourraient avoir des effets à long terme sur la vie, les moyens de subsistance et le capital humain des populations. Cela nécessite donc des interventions opportunes, fondées sur des preuves, techniquement solides et économiquement durables (Lopez-Calva, 2020). Cela donne une grande pertinence à la recherche sur les impacts économiques et sociaux de la pandémie, non seulement pour répondre efficacement aux défis actuels mais aussi pour être mieux positionné pour faire face à des crises de cette nature à l’avenir.

L’Amérique latine, avec un taux de pauvreté de 23% (Lustig and Tommasi, 2020), lutte pour atténuer les effets de la pandémie sur ces niveaux de pauvreté et inégalités déjà très élevés. La région a connu un impact sanitaire énorme, sans les moyens nécessaires pour contenir les ramifications sur l’activité économique et l’emploi, qui ont été aggravées du fait des inégalités de revenus accrues dans le monde. Il n’est donc pas surprenant que ce soit la région la plus touchée par la pandémie (Jaramillo, 2020). Le Fond Monétaire International (FMI) estime une contraction du PIB régional de 9,4% d’ici 2020. La région est, à son tour, la plus touchée au niveau mondial en termes d’emploi et des revenus du travail. Au cours du premier semestre. 2020, 34 millions de travailleurs ont perdu leur emploi. La situation est encore plus inquiétante si l’on considère que ces impacts ont été inégaux et que la voie de la reprise, qui se dessine lentement dans la région, pourrait s’accompagner d’un élargissement des écarts déjà très élevés en matière de travail et de revenus entre les différents groupes de population (Maurizio, 2020).

En fait, les femmes et les jeunes ont subi des pertes d’emploi plus intenses que les hommes et les adultes, respectivement. En revanche, la réduction de l’emploi a été plus intense chez les travailleurs informels que chez les travailleurs formels. Ces derniers, qui représentent plus de 80% du quintile de revenus le plus bas en Amérique Latine, ont plus de difficultés à travailler à distance et n’ont pas été atteints par les politiques de soutien à l’emploi mises en œuvre. C’est pourquoi ce sont les travailleurs en bas de l’échelle qui ont vu leurs revenus diminuer le plus intensément. Étant donné que le revenu du travail représente environ 80% du revenu familial total, la détérioration des conditions de travail a un impact direct sur les conditions de vie d’un grand nombre d’individus et de ménages dans la région.

En outre, les enfants des ménages les plus pauvres ont moins de chances de poursuivre leur scolarité, en raison non seulement de la perte de revenus familiaux, mais aussi de l’infrastructure limitée leur permettant de suivre les cours virtuellement. Cette dimension est également pertinente dans une perspective de genre, puisque la plus forte réduction de l’emploi féminin a été associée à la fois à leur plus grande présence dans certains secteurs économiques fortement touchés par cette crise et au taux plus élevé d’informalité, ainsi qu’aux difficultés croissantes de concilier travail rémunéré et responsabilités familiales, dans un contexte où les services d’éducation et de soins ont été profondément modifiés par les mesures de santé visant à éloigner et à réduire la mobilité des personnes. Tout cela exacerbe le cercle vicieux de la pauvreté.

Dans le cas de l’Argentine, les processus décrits sont particulièrement problématiques car l’incidence de la pauvreté et de l’indigence était déjà élevée avant le déclenchement de la pandémie et a augmenté de manière significative par la suite. En effet, au cours du premier semestre 2020, 41% des personnes étaient pauvres (soit une augmentation de 5,5 points de pourcentage en un an) et 10,5% étaient indigentes (INDEC, 2020). Toutefois, ces chiffres étaient nettement plus élevés chez les moins de 14 ans : 56% et 15,6%, respectivement. Ces valeurs mesurent la pauvreté comme étant l’incapacité des personnes à accéder au panier alimentaire de base total et au panier alimentaire de base par le biais de leur revenu monétaire, respectivement. Cependant, la pauvreté est plus que le manque de revenu dont une personne aurait besoin pour satisfaire ses besoins fondamentaux (United Nations, 2018). Cela peut se manifester par la privation de capacités de base qui permettraient à une personne d’avoir de années de scolarité, d’être bien nourrie, de vivre dans un bon foyer ou de ne pas souffrir d’une maladie chronique, par exemple (Wang et al., 2016). Cette mesure devient encore plus nécessaire dans le contexte actuel de la pandémie COVID19, car elle menace de perturber gravement les progrès réalisés dans la réduction de la pauvreté (Alkire et al., 2020). En fait, cette étude, la plus récente menée sur l’impact de la pandémie sur la pauvreté multidimensionnelle dans le monde, montre comment la pandémie aurait un impact substantiel grâce aux indicateurs de nutrition des enfants et de fréquentation scolaire. Les auteurs estiment que la pandémie inversera le processus de réduction multidimensionnelle de la pauvreté au niveau mondial entre 3 et 10 ans, selon le scénario envisagé.

Pour l’Amérique Latine, et en Argentine en particulier, il est essentiel d’accorder une attention particulière à ses populations les plus pauvres, faute de quoi des inégalités persistantes et d’autres effets économiques et sociaux à long terme pourraient se produire.
Les connaissances développées aujourd’hui grâce à l’étude de l’impact de la pandémie sur l’activité économique et l’emploi des populations les plus pauvres, permettra de concevoir des interventions qui rendent possibles les politiques de lutte contre la pauvreté et, en même temps, de minimiser les effets négatifs sur leur bien-être en cas de futures vagues de la maladie. C’est pourquoi ce projet vise à évaluer les impacts de la pandémie sur le marché du travail et sur la pauvreté monétaire et multidimensionnelle en Argentine.
Les impacts du COVID-19 sur le marché du travail ont été inégaux pour les différents groupes. de travailleurs. Albrieu (2020), pour le cas argentin, estime qu’entre 27 et 29% des postes pourraient être développés en télétravail, avec de plus grandes possibilités pour les professions libérales, les ménages à revenus élevés, les hommes et les postes de direction. Toutefois, lorsque ce chiffre est corrigé pour tenir compte de l’accès à l’internet et des ordinateurs à la maison, l’estimation tombe à 18%.


Objectif 1 : évaluer les impacts de la pandémie sur le marché du travail


Pour estimer l’impact de la pandémie COVID-19 et les mesures d’isolement social sur le marché du travail, on cherchera à connaître les variables associées aux professions et aux industries, qui dispose d’informations antérieures à l’apparition de la pandémie et qui ont une influence sur la propension à être touché par celle-ci. Comme est considéré dans d’autres travaux de recherche dans ce domaine, la probabilité de continuer à travailler pendant la pandémie et/ou la variation des salaires qui y sont associées, peuvent être modélisées sur la base d’un ensemble de variables de contrôle exogènes. À cette fin, un modèle probabiliste et des modèles d’équation de Mincer seront construits. En particulier, la stratégie d’identification sera basée sur les informations suivantes :

  • Poste de travail qu’occupe la personne avant la pandémie.
  • Industrie du travail qui occupe la personne durant la période pré-pandémique.
  • Caractéristiques de l’entreprise et du contrat de travail dans le cadre de l’emploi occupé avant la pandémie. À ce stade, le caractère formel/informel du travail est évalué.
  • Caractéristiques personnelles du travailleur (âge, éducation, etc.) et du ménage (si le travailleur dispose d’un ordinateur, localisation géographique, membres du ménage susceptibles et à risque de la COVID-19).
  • Les plans sociaux, en particulier les revenus perçus par le ménage associés à la pandémie (par exemple le revenu familial d’urgence (IFE)).


Ces informations peuvent être obtenues à partir de l’Enquête Permanente des Ménages (EPH), la principale source d’information sur le marché du travail en Argentine, ainsi qu’à l’aide d’autres sources d’information administratives. L’objectif principal dans un premier temps, est de croiser ces informations pour déterminer le risque que les personnes soient touchées par la pandémie et de le comparer, dans un deuxième temps, aux effets observés pendant la période de pandémie. Ces sources seront complétées par l’utilisation d’outils « Big Data » qui permettent la collecte et le traitement, par exemple, de données sur la mobilité des transports, l’utilisation des hôpitaux et d’autres informations connexes.

Pour ce faire, un étudiant en doctorat, sous la supervision des responsables du projet, devra collecter les informations dans un format compatible par le biais des enquêtes et produire une base de données unique permettant d’estimer des modèles économétriques. En plus d’étudier l’impact différentiel de la pandémie sur le marché du travail, le projet étudiera les changements possibles dans l’utilisation de la technologie associée à la pandémie. Comme on le sait, au cours des dernières décennies, le processus d’automatisation des tâches s’est accéléré, avec des répercussions non seulement sur le volume mais aussi sur la composition de la main-d’œuvre (McIntosh, 2003 ; Autor et al, 2003), même dans les pays en développement (Das et Hilgenstock, 2018). Le processus d’automatisation des tâches devrait s’accélérer dans la période post-pandémique. En effet, déjà pendant la pandémie, des automates de différents types ont joué un rôle important dans les tâches de désinfection, les contrôles sanitaires, l’accélération des activités de recherche, le diagnostic et l’analyse, la livraison des fournitures, etc. Outre les facteurs qui déterminaient auparavant le risque d’automatisation (par exemple, l’exécution de tâches routinières), d’autres découlent désormais de la probabilité plus ou moins grande d’exposition à cet épisode ou à d’autres épisodes similaires : les emplois qui impliquent un besoin plus important de proximité physique ou de contact avec les autres, ou qui sont plus exposés à la contagion ou aux risques sanitaires, entrent dans cette dernière catégorie (Chernoff et Warman, 2020; Leduc et Liu, 2020). Certaines enquêtes confirment d’ailleurs l’intuition que ces processus auront tendance à s’approfondir. Ces questions seront abordées dans le cadre d’une enquête représentative des entreprises qui sera réalisée en 2021 et qui évaluera spécifiquement l’utilisation des nouvelles technologies d’automatisation avant et après la pandémie, ainsi que leur impact sur différents types d’emplois. Les résultats de ces informations additionnelles peuvent être  utilisés avec les données individuelles mentionnées précédemment pour estimer si l’évolution du marché du travail a été affectée par l’adoption de nouvelles technologies et, le cas échéant, pour mesurer l’impact différentiel sur les salaires et les emplois.


Objectif 2 : Évaluer les impacts de la pandémie sur la pauvreté monétaire et multidimensionnelle en Argentine


Par ailleurs, l’Argentine n’a pas été incluse dans l’analyse des impacts de la pandémie sur la pauvreté multidimensionnelle mentionnée ci-dessus (Alkire et al, 2020). C’est pourquoi ce projet abordera également cette dimension. La mesure de la pauvreté en Argentine au moyen de l’Indice de Pauvreté Multidimensionnelle (IPM) proposé par Alkire et Foster (2011), permettrait de saisir les privations imbriquées auxquelles les gens sont confrontés dans plusieurs dimensions sociales, telles que l’éducation, la santé et le niveau de vie, ainsi que leur évolution dans le temps. Par conséquent, une première étude dans cette dimension visera à mesurer la pauvreté multidimensionnelle et à analyser l’impact de la pandémie sur son évolution, ainsi que les différences qui pourraient exister en matière de pauvreté monétaire.
Les jeunes femmes à faible revenu ont perdu leur emploi de manière plus intense et sont pour la plupart passées à l’inactivité (Maurizio, 2020). Une deuxième étude propose donc d’évaluer la variabilité des privations sociales considérées dans la mesure de la pauvreté multidimensionnelle parmi les différents membres d’un ménage. Cette analyse nous permettrait de comprendre les inégalités dans l’impact de la pandémie qui existent au niveau du ménage, selon les différentes classifications de travail et d’âge (Alkire et al., 2018 et Alkire et al. 2019).
Plusieurs politiques et stratégies ont été mises en œuvre dans le pays afin de compenser la perte de ressources économiques, en particulier pour les familles les plus vulnérables. La politique la plus ambitieuse a été le revenu familial d’urgence (IFE), destiné principalement aux travailleurs de l’économie informelle et aux bénéficiaires de l’allocation universelle par enfant (AUH) et de l’allocation universelle par grossesse (AUE). C’est pourquoi une troisième étude évaluera dans quelle mesure les personnes en situation de plus grande vulnérabilité sont ciblées par les politiques sociales mises en œuvre, principalement l’IFE, et si cela contribue à contenir l’augmentation de la pauvreté multidimensionnelle. Là encore, une analyse des inégalités intrafamiliales sera effectuée.
Dans un premier temps, toutes ces études pourraient être développées en utilisant les données disponibles dans de l’Enquête Permanente des Ménages (EPH). Dans un deuxième temps, une enquête de terrain sera développée afin de collecter des informations plus spécifiques auprès de ménages. Ceci permettrait, en effet, de mieux comprendre les privations sociales imbriquées auxquelles sont confrontés les individus à l’intérieur du ménage, ainsi que d’évaluer l’impact de la pandémie, tant d’un point de vue anthropologique, comme économique et social. Cette mission pourra être mené par une doctorante ou post doctorante.

Enfin, une quatrième étude propose une analyse comparative des résultats entre l’Argentine et d’autres pays d’Amérique Latine, ce qui permettrait de mieux comprendre la situation de l’Argentine face à la pandémie dans la région. Cette recherche pourrait bénéficier des conseils et suggestions des participants aux séminaires organisés par le centre de recherche de l’Oxford Poverty and Human Development Initiative (OPHI) de l’Université d’Oxford, qui est chargé de mesurer la pauvreté multidimensionnelle dans le monde, ainsi que de son propre personnel de recherche. En outre, les recherches proposées ici pourraient donner lieu à des publications en tant que documents de travail du même centre et bénéficier d’une diffusion par le biais des différentes organisations partenaires, telles que la CEPAL en Amérique Latine, le Réseau de pairs sur la pauvreté multidimensionnelle (MPPN) et le Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD).